La dépression et psychanalyse, ce que révèle l'inconscient

Publié le 7 juillet 2025 à 16:49

Comprendre la dépression autrement

Tristesse persistante, perte d’élan vital, fatigue inexpliquée, sentiment de vide… La dépression touche profondément l’être, bien au-delà du simple « coup de mou ». Si la médecine propose des diagnostics et des traitements médicamenteux, la psychanalyse, elle, interroge : que dit la dépression de l’histoire psychique du sujet ?

Et surtout : que cherche-t-elle à faire taire ?

Dépression : un symptôme ou un message ?

Le terme "dépression" regroupe en réalité des vécus subjectifs très différents : abattement, retrait du monde, culpabilité, effondrement narcissique, inhibition, dévalorisation…

Du point de vue psychanalytique, la dépression n’est pas une maladie au sens biologique, mais une formation de compromis, c’est-à-dire un message de l’inconscient. C’est un symptôme qui dit sans mots ce que le sujet ne peut pas encore penser, formuler ou symboliser.

« Là où ça parle, il faut écouter. Là où ça ne parle plus, il faut faire parler. » - Jacques Lacan, Écrits, 1966

 

Une souffrance en silence : l’énigme du retrait

La dépression comme deuil pathologique

Freud est l’un des premiers à proposer une lecture de la dépression dans son texte fondateur :

« Deuil et mélancolie » (1917).
Il distingue le deuil normal (réaction à la perte d’un objet aimé) de la mélancolie, dans laquelle le sujet perd aussi une partie de lui-même, avec un effondrement de l’estime de soi.

 

« L’ombre de l’objet est tombée sur le Moi »

Sigmund Freud, Deuil et mélancolie, 1917.

 

Dans la mélancolie, l’objet perdu (souvent un parent, une image idéalisée, un idéal) n’a pas pu être intégré ni symbolisé. La perte reste inassimilable, et l’agressivité retourne contre le sujet lui-même. Le Moi attaqué de l’intérieur

Les pensées de culpabilité, de honte, ou d’auto-dévalorisation qui accompagnent la dépression sont, selon Freud, le signe d’une agressivité inconsciente retournée contre le Moi. Ce sont des pulsions dirigées vers un Autre, mais défensivement retournées vers soi : c’est le mécanisme du retournement pulsionnel.

 

Une affaire de lien : la dépression dans la relation d’objet

La théorie de l’objet perdu

Chez Melanie Klein et les post-freudiens, la dépression est associée à la position dépressive, c’est-à-dire à la capacité (ou non) d’assumer la séparation, l’ambivalence et la perte de l’objet.

Lorsque cette étape développementale échoue, le sujet peut rester bloqué dans un clivage archaïque : bon objet / mauvais objet, amour / haine, soi digne / soi mauvais.

La dépression peut alors être la conséquence d’un échec dans la symbolisation de l’ambivalence.

« Le sujet dépressif est celui qui ne parvient pas à faire le deuil de l’objet sans se détruire lui-même »
 André Green, Le complexe de la mère morte, 1980.

 

Le « vide » psychique comme défense. Chez certains patients, la dépression ne manifeste pas seulement une perte, mais un vide psychique radical, comme si l’intériorité avait été anéantie. André Green parle d’un Moi qui se vit comme désaffecté, vidé de tout élan, figé dans une forme de « blanc intérieur ».

Ce vide n’est pas une absence : c’est une défense contre un affect trop intense, trop dangereux, trop archaïque.

Et si la dépression parlait d’amour ?

L’amour déçu, l’idéal effondré. Lacan a proposé une autre lecture de la dépression : le sujet s’effondre quand l’Autre n’est plus garant de son désir. La dépression ne serait pas tant une absence d’affect qu’un affect qui ne trouve plus d’Autre pour le recevoir. L’idéal est tombé, l’amour est mort, et le désir est suspendu.

« Ce n’est pas l’Autre qui manque, c’est le manque d’Autre qui se fait sentir »
Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre X : L’angoisse, 1962-1963.

 

Que peut la psychanalyse face à la dépression ?

Contrairement à certaines approches brèves qui cherchent à « réparer » rapidement, la psychanalyse propose un espace de transformation en profondeur.

1. Faire émerger la parole là où règne le silence

Le sujet déprimé a souvent perdu le fil de son histoire. Il ne sait plus à quoi il tient, ni d’où vient sa douleur. L’écoute analytique vise à restaurer du lien dans le chaos intérieur, en laissant émerger les associations, les souvenirs, les répétitions, les rêves.

 « La parole, quand elle advient, soulage parfois davantage que le médicament. »

2. Nommer la perte, faire le deuil, restaurer le Moi

La dépression masque souvent une perte non dite, non reconnue, non symbolisée. Le cadre analytique permet un travail de deuil, non pas pour « oublier », mais pour reconstruire autour du manque.

« Ce n’est pas de la perte qu’on meurt, mais de ne pas pouvoir la dire. »

3. Réintroduire du désir là où tout semble figé

La psychanalyse ne redonne pas « la joie de vivre » comme un slogan. Elle permet de réentendre le désir, de retrouver un espace de choix, de subjectivité, de mouvement.

 

Pourquoi consulter un psychanalyste en cas de dépression ?

  • Parce que le symptôme a un sens, et qu’il mérite d’être entendu.
  • Parce que la parole change la douleur, et que l’écoute analytique est une des rares à en respecter la complexité.
  • Parce qu’aucune pilule ne répare un manque d’amour ou un effondrement narcissique.

Et parce que tu n’as pas à rester seul(e) avec ça.


« La psychanalyse ne promet pas le bonheur, mais elle peut alléger la souffrance. »

 

Références principales :

Freud, S. (1917). Deuil et mélancolie

Lacan, J. (1966). Écrits ; (1962-63). Séminaire Livre X : L’angoisse

Green, A. (1980). Le complexe de la mère morte

Klein, M. (1935). La position dépressive

Winnicott, D. W. (1965). La capacité d’être seul